par Robert M. Hébert*
Le 6 et 7 septembre
2013 a eu lieu à l’Institut-Goethe de Montréal un déambulatoire réunissant le
théâtre et l’installation vidéo : « Berlin appelle » créé par Daniel
Brière et Évelyne de la Chenelière. Avec Catherine de Léan et Marc Fortier au
piano sur des textes de Daniel, Évelyne et moi-même. Voici entre autres le
Prologue qui fut joué-récité par Catherine de Léan.
« Frère Jacques, frère Jacques, dormez-vous? »
COMPTINE, thème de la marche funèbre de Gus Mahler,
Symphonie no 1,
troisième mouvement.
Au commencement, la terre était
tohu et bohu,
tohu-bohu.
L’esprit du Ptérodactylus planait
sur les ténèbres,
sur la soupe primitive
et les eaux de l’inconscience.
Le Ptérodactylus créa l’homme à son
image,
et lui prêta l’usage de la parole…
L’Homme se mit à parler, à projeter
des blocs de sons,
à s’adresser au ciel.
Grande énigme que l’air de ses deux
poumons
traversant une bouche, la sienne.
Entre jours et nuits, une poussière
d’étoiles avait composé
la pierre, le bois, la délicate
cire,
le papyrus, les peaux animales.
Tant de supports-surfaces.
Et la main de l’homme traça enfin
les lettres de l’alphabet.
Sidérante naissance de l’Homo scribens.
Nous, Ubiquistes du millénaire,
ubiquistes sans cloison,
nous aimons la première lettre A.
Ah! plaisirs, jouissances et
douleurs partout,
l’admiration…, le chagrin…,
l’impatience…, la surprise…,
ah! perplexité,
Ha! ha! mise en garde. Achtung!
A, l’écho des affects qui font
tourner le sang.
L’ABC-daire résumerait la grande
aventure de l’homme
avec tous ses accidents de
parcours.
Im
Anfang war die Tat.
Au commencement était l’action.
Finie la grisaille des théories, le
papier,
la bibliothèque, les grognement
d’un chien,
Faust découvre l’action mais il doit
faire un pacte
avec un Méphisto fêlé.
Au commencement fut la langue du
IIIe Reich,
celle qui a déformé, perverti les
mots, euphémisé,
celle qui a « pris soin » (betreuen) des nuisibles et indésirables
en les accompagnant jusqu’à leur destruction…
Puis un jour, des décombres,
malgré tous les coincements de tous
les murs,
surgit un Joseph Beuys.
aouou! le compagnon coyote
et qui? une Nina Hagen punkette.
Au commencement il n’y a rien du
Tout à venir.
Il y a la nuit des temps, le sexe,
une guerre mondiale, l’action déjà
là.
Une folie historique précède chaque
naissance
et le fœtus entend.
Au commencement il y a des points
de départ,
un littoral, la rumeur des rêves,
les chances d’une aventure dans un
monde indéterminé,
le suspens océanique.
Puis l’embouchure d’un fleuve,
Amerika, Amerika!
À la fin demeurera le catalogue de
toutes les mémoires,
suppliques passées,
axes d’actions à venir,
prévisibles.
La terre ne sera pas moins tohu et
bohu,
tohu-bohu,
soupe autrement primitive.
Dans un univers où la poussière
d’étoiles n’aurait composé
aucun être de conscience,
la philosophie ne s’enseignerait
pas :
il faut un soleil spécial,
des hommes et des femmes,
une blessure de sang, une lésion
d’humanité
pour que le philosophe interroge
tout ce qui arrive, alles was der Fall ist.
Ah!.. mais on n’interroge qu’avec
le langage, mes amis :
arêtes, cendres de livres
enfoncées dans l’œsophage.
Mesdames et Messieurs,
meine
Damen und Herren,
entrez dans le labyrinthe du
Goethe-Institut.
C’est le clapotis,
l’étrange clameur des Ubiquistes;
l’ubiquité est une vertu supérieure
de tourisme.
À chacun le clou de sa soirée,
la création de ses quelques lueurs
aux fenêtres…
ce seront les clusters de Berlin
ou de Montréal sur la Main.
Nouvelles images, nouvelles énigmes
ou variables,
une petite avancée parmi les corps,
des corps
sans papiers d’identité,
le parc des fictions.