Clôture de l’appel à contribution : 20 octobre 2017
Supports, circulation et disciplinarisation des discours de savoir en humanités
De l’encyclopédie au carnet de recherche
Université de Liège, 25 janvier 2018
Organisation
Organisée dans le
cadre des activités du projet ARC-GENACH, « Genèse et actualités des
Humanités critiques. France-Allemagne (1945-1980) »
Argumentaire
Depuis plusieurs
années, les institutions de recherche développent toute une gamme de
stratégies de « mise en visibilité » des travaux de leurs chercheurs
(via des capsules vidéo, des entretiens dans des magazines
institutionnels, etc.). Ceux-ci sont par ailleurs encouragés, d’une part
à publier dans des revues de prestige hyper-spécialisées (en anglais, à
haut facteur d’impact, classées « A ») pour favoriser la reconnaissance
de leur travail par les grilles d’évaluation de la recherche (dont les
méthodes sont critiquables et critiquées), d’autre part à multiplier les
ouvertures vers la sphère dite « profane », ou à franchir les
frontières disciplinaires traditionnelles, notamment via des
interventions dans les médias ou des carnets de recherche qui
s’autorisent des prises sur l’actualité.
Ces quelques
exemples de logiques relativement récentes gagnent à être interrogés
dans un cadre plus large, qui prenne en considération la variété des
supports et des dispositifs par lesquels les discours de savoir sont mis
en circulation. Le cas des humanités (lettres, philosophie, sciences
humaines) est à cet égard particulièrement intéressant à observer : ces
disciplines, qui ont connu très tôt des formes d’institutionnalisation
associées à des supports particuliers (pensons aux grammaires et aux
dictionnaires), sont aujourd’hui tiraillées entre, d’une part l’exigence
de se conformer à des standards de scientificité imposés par les
sciences dites « dures » et l’usage abusif d’indicateurs pauvres tels
l’indice « h », d’autre part l’exigence de justifier leur « valeur
sociale » en portant leur discours sur « l’actualité ».
Parmi les supports
de la circulation des savoirs, le cas des « revues savantes » apparait
sans doute comme prototypique de ces différentes tensions. L’étude des
revues est en plein essor, depuis une trentaine d’années, suscitant de
plus en plus d’articles savants, de monographies et de thèses, ainsi que
des numéros de revues. Cela dit, ces travaux se sont essentiellement
concentrés sur les revues intellectuelles et littéraires, laissant en
grande partie dans l’ombre le lieu même d’où sont conçues et publiées
ces études : la sphère universitaire et ses instances éditoriales, dont
les revues savantes. Accompagnant les transformations de la vie
universitaire, de leurs premières esquisses au xviie siècle
jusqu’à leur actuelle centralité dans la trajectoire des chercheurs, les
revues savantes ne se sont pas développées en vase clos. Entre
celles-ci et les revues intellectuelles, littéraires, voire artistiques,
les échanges, conflits et jeux de distinction sont nombreux et souvent
cruciaux, touchant selon les cas collaborateurs, discours, genres
textuels, types d’illustrations, travail de mise en page ou circuits de
diffusion.
Le cas des revues
permet ainsi d’identifier une grille de questionnement qu’on peut
appliquer plus largement à d’autres supports, voire à tous les
dispositifs dans lesquels s’inscrit le discours de savoir, y compris
dans ses formes orales (séminaire, colloque, conférence, entretien,
etc.).
Embrassant a priori ce très large spectre, le questionnement pourra privilégier telle entrée d’analyse particulière :
- trajectoires d’auteurs : comment un même acteur du champ de production intellectuelle circule d’un support à l’autre, selon quels rythmes, quelles séquences et avec quels effets sur sa trajectoire personnelle ? Pensons aux exemples d’un Roland Barthes collaborant aux Lettres nouvelles,à Arguments, Poétique, Communications et Tel Quel,d’un Michel Van Schendel publiant dans Liberté, Socialisme, Recherches sociographiques, Voix et images et quelques autres revues.
- usages des citations : comment un auteur circule en fonction de la distribution de ses citations (formats, disciplines, langues, pays) et comment s’y opère les déplacements du transfert disciplinaire (un philosophe lu en littérature ; un sociologue, en arts visuels, etc.) ? Cette topologie peut être facilitée par les banques de données des humanités numériques qui permettent aussi de documenter la circulation différenciée, voire antinomique, de l’intellectuel médiatique et du chercheur à grand rayonnement.
- migrations de topiques : comment une même problématique de recherche, ou un même noyau d’idéologèmes, ou encore un même champ terminologique migre à travers différents supports ? L’exemple classique à cet égard pourrait être celui de la topique de « l’aliénation », véritable mot de passe de la culture savante des années 1960.
- différenciations et reproductions de formats : en quoi le post d’un carnet de recherche se distingue de l’article en revue, et en quoi ce dernier reproduit éventuellement des marques de la conférence orale ? Ce jeu de différenciation et de reproduction des formats peut concerner les supports matériels, le paratexte éditorial ou les propriétés rhétoriques et linguistiques des discours (énonciation, lexique, syntaxe). Par ailleurs, cette différenciation fournit paradoxalement, à son tour, l’occasion aux critical reviews telles London Review of Books, Times Literary Supplement ou New York Review of Books de (ré)articuler études savantes, textes de création et prises de position politiques et documenter ainsi le renouvellement de leurs résonances mutuelles.
Quelle que soit
l’entrée privilégiée, la question des supports et de la circulation des
discours de savoir en humanités se déploie en plusieurs axes de
problématisation transversaux :
1) Usages et
effets socio-institutionnels : les supports servent à bien d’autres
choses qu’à simplement « communiquer » des contenus. Leurs propriétés
internes se prêtent à différents usages sociaux et produisent des effets
dont la portée est souvent institutionnelle. Ainsi, nombre de revues
savantes sont de puissants facteurs de disciplinarisation des
savoirs ; d’autres (ou les mêmes) sont devenues des instruments
économiques, contrôlés par l’oligopole des compagnies régissant leur
diffusion (Elsevier, Wiley etc.), en même temps que de purs instruments
comptables d’évaluation de la carrière d’un chercheur ; d’autres supports encore s’inscrivent dans démarche de vulgarisation, voire d’appropriation des savoirs savants. Cet axe concerne aussi les effets des supports sur la temporalité et la culture de la vitesse dans laquelle est prise l’activité de production et de consommation des savoirs et contre laquelle s’élève le mouvement du slow professor.
2) Hybridations
entre art et savoir : les supports du discours de savoir sont souvent
des lieux de tension entre différents régimes de discursivité, qui se
côtoient et dès lors s’influencent nécessairement, en production comme
en réception. Que l’on songe aux illustrations à prétention esthétique
qui accompagnent certaines publications scientifiques en ligne, aux
revues, anciennes ou récentes, qui accueillent autant des textes de
création que des textes de recherche, ou encore des présences
académiques dans des lieux et sur des supports associés à la sphère
artistique (musées, expositions, performances, etc.).
3) Hybridations
entre sphères « savante » et « profane » : c’est l’axe transversal le
plus évident, puisqu’il concerne l’effet de frontière, ou à l’inverse de
franchissement de frontière, que provoquent certaines propriétés des
supports. Loin d’être uniquement inscrits dans la rhétorique des textes,
les partages ou les échanges entre le « savant » et le « profane » sont
pour une part des constructions dues aux supports. En outre, les
circulations des auteurs, des topiques ou des formats peuvent dessiner
des parcours de va-et-vient entre une sphère socio-discursive
restreinte, et une autre à diffusion large.
4) Spécificités
et transferts culturels : la cartographie des supports et de leurs
auteurs plus ou moins collectifs pourrait documenter cette dynamique ou
rivalité inter-champs par la reconstitution de l’espace de circulation
des auteurs et des modalités d’occupation et de transformation de leur
statut sur des scènes parallèles, que ce soit à l’intérieur d’une sphère
socio-culturelle donnée (française, québécoise, états-unienne, etc.),
d’une aire socioculturelle élargie (la francophonie, la sphère
universitaire anglo-saxonne) ou entre les cultures.
Modalités de soumission
Les propositions de communication (titre, texte de max. 1500 caractères espaces compris) sont à envoyer aux organisateurs, aux deux adresses suivantes :
- Jean-Pierre Couture : couture.jeanpierre@gmail.com
- François Provenzano : Francois.Provenzano@ulg.ac.be
Clôture de l’appel à contribution : 20 octobre 2017
Sélection des panélistes et définition du programme : 10 novembre 2017
Journée d’étude : 25 janvier 2018
Organisateurs
Jean-Pierre Couture (U. Ottawa), François Provenzano (U. Liège).
Comité scientifique
- Grégory Cormann,
- Jean-Pierre Couture,
- Björn-Olav Dozo,
- Thomas Franck,
- Caroline Glorie,
- Jeremy Hamers,
- Antoine Janvier,
- Michel Lacroix,
- Céline Letawe,
- Ingrid Mayeur,
- Mark Potocnik,
- François Provenzano.